L’art-thérapie, se libérer par l’expression artistique
RENCONTRE AVEC JEAN-PIERRE KLEIN, psychiatre
Encore trop peu recommandée dans un parcours thérapeutique, l’art-thérapie est pourtant une alternative à la psychothérapie quand la parole est impossible. Psychiatre honoraire des Hôpitaux, auteur dramatique, diplômé en psychologie, promoteur de l’art-thérapie et directeur de l’institut national d’expression, de création, d’art et de thérapie (INECAT), j’ai eu le privilège de rencontrer Jean-Pierre Klein pour la fondation DAPAT qui soutient les femmes victimes de violences.
Quel est le processus à l’œuvre dans l’art-thérapie et comment peut-elle s’inscrire dans un parcours de résilience ? Rencontre avec Jean-Pierre Klein
Comment définissez-vous l’art-thérapie ?
L’art-thérapie et la médiation artistique consistent en un accompagnement de personnes, en général en difficulté (psychologique, physique, mental, sociale, existentielle) mises en position de création artistique aboutissant à des œuvres plastiques, sonores, théâtrales, corporelles, littéraires et dansées. C’est un projet de transformation positive de soi à travers des productions artistiques. Le support artistique devenant la métaphore de la résolution du problème.
Quel est le processus à l’œuvre dans l’art-thérapie ?
L’art-thérapie s’appuie sur les vulnérabilités de la personne comme matériau pour la reprise de la construction de soi-même. Elle permet au sujet qui fait face à des difficultés ou des traumatismes de se re-créer lui-même dans un parcours symbolique de création en création. Chaque production est une façon de figurer ses conflits, ses peurs et ses aspirations. En choisissant le média adapté à la personne, on stimule sa créativité et l’émergence de formes. Les formes qui émergent évoluent au fil du processus et cette évolution est porteuse d’une réparation symbolique de façon délibérée ou même à son insu. L’art-thérapie repose sur ce mouvement créateur. C’est une façon de se projeter dans une œuvre comme forme énigmatique en mouvement, et de travailler sur cette œuvre pour travailler sur soi-même. L’art-thérapie est un détour pour s’approcher de soi. C’est un parcours symbolique qui permet au sujet de renaître à lui-même.
Vous insistez sur l’importance de ne pas chercher à interpréter ce qui émerge de la production réalisée par la personne. Pourquoi ?
Le dessein de l’art-thérapie n’est pas de « parler sur » pour livrer des significations d’une production. Il n’y a pas de décryptage ni d’interprétation de l’art-thérapeute. Cela serait d’ailleurs contre-productif. On ne cherche pas à dévoiler les problématiques ni à expliquer le passé ou à répondre aux éternels pourquoi, mais à remettre du mouvement là où quelque chose s’est figé. Même si les troubles, les souffrances ou les violences peuvent se retrouver dans la production, l’art-thérapeute ne doit pas céder à la tentation de partager une signification qu’il a déjà devinée. Son rôle est d’accompagner le processus de métaphorisation implicite. Il s’intéresse au devenir de la forme créée et à son évolution imprévisible. Il est tourné vers la quête d’un à-venir et d’un devenir possible, et non vers l’expression d’un passé arrêté de souffrance, de violence, de tourments, de symptomatologie défensive et de protection contre le chaos interne. C’est ce qui différencie l’art-thérapie des procédés habituels de psychothérapie. C’est la raison pour laquelle les psychothérapies ou les analyses se prolongent parfois pendant des années. L’expression soulage mais le soulagement est passager, alors que la création transforme. Si la verbalisation peut être utile –mais pas toujours possible- en tant qu’étape dans un processus de résilience, elle n’est pas suffisante pour engendrer une transformation profonde et remettre de la vie là où quelque chose s’est éteint. Le verbal n’est qu’un symbole parmi d’autres. Dès qu’on interprète, le processus risque de s’arrêter. L’art-thérapie est davantage dans l’émanation que dans l’expression, dans une ouverture vers l’avenir que la production amorce.
C’est ce que vous appelez la stratégie du détour ?
Oui, le détour est au cœur de l’art-thérapie. Nous ne sommes pas là pour brutaliser le symptôme, ni l’aborder de front, mais pour naviguer autour de lui en utilisant un média. Par l’intermédiaire d’un crayon, d’un pinceau, de la terre, de la pâte à modeler, d’une marionnette, d’un masque, de la danse, de chant, de la musique, d’un personnage de théâtre, de mouvements corporels, de l’écriture d’un conte ou d’une fiction, etc., la personne devient auteur d’une expression artistique. Elle redevient Sujet, auteur d’une production qu’elle nourrit de ses peurs autant que de ses ressources. Le média est à la fois une manière de parler de soi sans dire « je » et un interlocuteur qui a son caractère, qui se défend, qui a ses exigences techniques. Il ne s’agit pas d’un jeu d’introspection, mais d’une confrontation avec soi-même comme nourrissant une œuvre à partir, entre autres, de ses blessures. Le processus implique un combat, ou plus exactement une négociation avec la matière. Il repose sur la projection de ses difficultés dans une production que le thérapeute accompagne. On travaille dans la métaphore. Parfois, le patient l’oublie. Parfois, il ne le sait même pas. C’est ce qui fait travail sur soi. Le thérapeute est le médiateur entre la personne et la matière.
Le but du média est donc de mettre une distance en soi et le problème ?
C’est une mise à distance qui permet l’abord indirect du symptôme ou de la détresse. Mais c’est aussi une façon d’éviter de figer une personne dans un comportement ou une situation. A travers la forme qui se dessine, on la rencontre dans un champ autre que celui qui a figé son identité de victime, ou même un agresseur par exemple. En passant par l’espace du symbolique, elle rencontre également l’autre différemment (le thérapeute, le groupe), et elle rencontre aussi les autres en soi, ses altérités intimes, tout ce qui la compose et qui fait d’elle un être complexe en perpétuel devenir. Ce passage par les altérités me montre que je suis à la fois le même et différent. On touche l’ipséité de Paul Ricoeur (qui a postfacé un de mes livres). C’est ce qui permet de passer de l’inconnu à la créativité, trajectoire de la faille à l’ouverture.
Pourquoi est-il si difficile de parler de soi directement, ou d’évoquer ce qui fait mal ?
Pour de multiples raisons. Parce qu’on ne sait pas toujours ce qui fait mal. Parce qu’on ne doit pas en parler, par loyauté, par peur du rejet si on brise une injonction au silence. Parce qu’on ne peut pas, à cause d’une amnésie traumatique ou d’un trouble fonctionnel. Ou parce qu’on ne veut pas, car c’est coincé ou trop douloureux. Quel que soit ce qui empêche la verbalisation, l’art-thérapie permet de dépasser ce qui ne peut se dire. L’ennemi, c’est souvent le mental, la tête, la réflexion. Or le mental, c’est ce qu’on fait fonctionner dans la thérapie traditionnelle. L’allié de l’art-thérapie, c’est le corps, le ressenti, l’éprouvé, le corps énonçant et laissant la forme se créer. Plus on permet au corps d’exprimer, à la main de dessiner, à la voix de chanter, plus on s’ouvre au sensible, plus on touche à quelque chose d’intime, plus on se rapproche de soi, de tout ce qui habite en soi non réduit au trauma. L’art-thérapie organise la rencontre avec cet intime et lui permet d’évoluer vers une forme nouvelle.
L’expression corporelle à travers la danse, ou l’exposition au regard des autres par le théâtre, peut s’avérer un défi insurmontable pour certaines personnes, notamment celles qui ont un rapport au corps difficile. Que propose l’art-thérapie face à certains blocages ?
C’est toujours le même principe. On évite d’attaquer de front les symptômes et les difficultés. On ne va pas proposer immédiatement de la danse à une personne qui se sent mal à l’aise avec son corps meurtri, ou un récit autobiographique à une personne envahie par la honte. On ne ferait que renforcer des défenses bien légitimes (l’amnésie en est une) et ralentir considérablement le processus de transformation. L’art-thérapeute est formé pour adapter sa proposition à la personne de façon que le cadre permette l’émergence d’une nouvelle forme de figuration qui fait symbolisation. Son savoir-faire consiste à repérer les traumatismes sans obliger d’emblée de les porter au jour, respecter les défenses de la personne tout en contournant ses résistances. La délimitation du cadre, des règles et des limites du jeu, permet de délimiter un espace symbolique dans lequel le sujet va se sentir en confiance et en sécurité. L’art-thérapeute doit créer un contexte qui favorise le jeu et la spontanéité, mais aussi le lâcher prise sur le résultat et sur la performance. La garantie d’une absence de jugement ou d’attente d’un résultat est essentielle. Elle permet le mouvement et libère la créativité. La personne doit être mise dans une position qui agit comme une autorisation à être soi. Un soi en devenir. Cela est aussi vrai dans le cadre de la médiation artistique et des pratiques en groupe.
Quelle est la différence entre l’art-thérapeute et la médiation artistique ?
L’art-thérapeute est un artiste ou un professionnel de la relation d’aide, pratiquant l’art-thérapie. Son activité est centrée sur un problème physique, existentiel, psychologique, psychiatrique. Elle se propose généralement dans un cadre individuel, ou individuel en groupe. La médiation artistique a une vocation généralement sociale et sociétale. Les deux font intervenir quelqu’un connaissant de l’intérieur les processus de création auprès de personnes en difficulté pour qu’elles contactent leur potentiel créateur et redeviennent par ce biais davantage sujets d’elles-mêmes. Nous enseignons tant l’art-thérapie que la médiation artistique en relation d’aide à l’INECAT.
Quel est le rôle du groupe en médiation artistique. A quel public s’adresse-t-il ?
La médiation artistique peut être proposée sous forme de groupe, par exemple en prison, dans les quartiers à violence, pour les mineurs non accompagnés, les SDF… Le groupe offre la certitude que la violence ne sera pas abordée directement. Il agit comme une protection car on sait qu’on ne sera pas dans l’intimité dévoilée. Le groupe favorise aussi le détour. En donnant une consigne générale au groupe, le thérapeute peut orienter le travail d’un participant dont il appréhende la difficulté à faire évoluer une forme dans un sens ou dans un autre. La proposition faite au groupe, et non au participant directement, permet de dépasser les éventuelles résistances du sujet et de provoquer un autre mouvement. Que ce soit dans un cadre individuel ou collectif, l’art-thérapie demande d’avoir une perception plus fine des intériorités psychiques et la médiation artistique des phénomènes de groupe et des mentalités collectives (comme le patriarcat ou les idéologies machistes). Perceptions qui vont servir de GPS à l’art-thérapeute.
Les artistes doivent-ils être formés pour proposer de la médiation artistique en relation d’aide, ou la transmission de leur art est-elle thérapeutique en soi ?
L’art, en soi, n’a pas de destinée thérapeutique, la transformation de son auteur n’étant pas son but, même si elle se produit parfois dans un sens plus ou moins favorable. L’enjeu pour l’artiste qui anime un groupe d’art-thérapie, c’est d’être capable de laisser s’exprimer les fêlures, les vulnérabilités, les folies, les dépressions des participants sans les contraindre à respecter des règles trop techniques en vue d’un résultat satisfaisant. On s’attache moins au résultat qu’au processus. La formation de l’artiste lui permet d’acquérir cette souplesse et de la combiner avec son art tout en étant capable d’appréhender les problématiques en présence et d’orienter les consignes dans un sens qui va favoriser une remise en marche de ce qui s’était arrêté dans la proximité du gouffre.
De plus en plus de professionnels se revendiquent art-thérapeutes ou proposent des interventions artistiques auprès de personnes en difficulté sans avoir d’activité artistique personnelle. Peut-on s’adresser directement à votre institut (INECAT) pour avoir la liste de thérapeutes certifiés et être sûr de s’orienter vers un professionnel compétent ?
Il suffit de m’envoyer un mail à klein.jpkev@gmail.com et de m’exposer une demande indiquant les difficultés, les troubles ainsi que la région d’habitation (adresse et téléphone). J’essaierai au mieux de répondre et de conseiller un.e praticien.ne
Valérie Pharès
Article paru dans DAPAT magazine N°3 : https://dapat.fr/dapat-magazine-n3-lart-therapie-se-liberer-par-lexpression-artistique/
Définition de l’art-thérapie selon JP KLEIN*
L’art-thérapie est un accompagnement de personnes en difficulté (psychologique, physique, sociale ou existentielle) à travers leurs productions artistiques : œuvres plastiques, sonores, théâtrales, littéraires, corporelles et dansées. Ce travail subtil qui prend nos vulnérabilités comme matériau, recherche moins à dévoiler les significations inconscientes des productions qu’à permettre au sujet de se re-créer lui-même, se créer de nouveau, dans un parcours symbolique de création en création. L’art-thérapie est ainsi l’art de se projeter dans une œuvre comme message énigmatique en mouvement et de travailler sur cette œuvre pour travailler sur soi-même. L’art-thérapie est un détour pour s’approcher de soi.
*KLEIN Jean-Pierre, « L’art-thérapie », Cahiers de Gestalt-thérapie, 2007/1 (n° 20), p. 55-62. DOI : 10.3917/cges.020.0055. URL : https://www.cairn.info/revue-cahiers-de-gestalt-therapie-2007-1-page-55.htm